Salvador : l’ascension d’un outsider en casquette

Entre violence, insécurité et corruption, le Salvador était à bout de souffle.

Depuis des décennies, le pays s’enlisait dans une crise multiple, sans issue apparente, laissant une population désabusée et avide de renouveau. Max Weber, dans sa typologie des formes de domination, décrit le leadership charismatique comme une autorité qui ne repose ni sur la tradition ni sur des institutions, mais sur la croyance en les qualités exceptionnelles d’un individu. 

En période de crise, ces figures émergent en incarnant une rupture radicale avec l’ordre établi et en établissant un lien direct avec le peuple.

C’est ainsi que Nayib Bukele s’est présenté à l’élection présidentielle. En 2019, il a court-circuité les élites d’un pays gangréné par la violence, la corruption et l’inefficacité des partis historiques, en apparaissant comme l’homme du renouveau. Ni de droite, ni de gauche, mais contre le système, il a imposé son style. 

Casquette vissée sur la tête, communication directe sur les réseaux sociaux, ambition de "rendre le Salvador aux Salvadoriens", Bukele a brisé les codes de la classe politique traditionnelle. Là où d’autres s’appuyaient sur des discours idéologiques usés, il a préféré parler la langue d’une jeunesse désabusée, dans un pays où l’âge médian est de 27 ans.



Comment et pourquoi Nayib Bukele a réussi là où les autres ont échoué ?




Un outsider en rupture avec les élites traditionnelles.


Par « outsider », nous entendons un acteur politique qui se positionne en marge des structures établies et qui construit sa légitimité en opposition aux élites traditionnelles. 

Pourtant, Bukele n’est pas un pur produit hors du système. Élu maire de San Salvador en 2015 il s’est d’abord inscrit sous l’étiquette du FMLN, parti historique, avant de s’en détacher progressivement et d’en rejeter les codes.

Le tournant opère en 2017, lorsqu’il est exclu du parti après avoir attaqué la direction qu’il jugeait déconnectée du peuple et corrompue par le pouvoir. Dès lors, cet épisode marque son entrée dans une posture pleinement antisystème. Loin de se contenter d’un rôle d’opposant classique, Bukele se construit une image de rupture totale avec l’ordre établi. Il refuse de s’intégrer aux grandes coalitions partisanes et lance en 2018 son propre mouvement, Nuevas Ideas, qu’il présente comme une alternative aux appareils politiques traditionnels.

Par ailleurs, là où ses prédécesseurs s’appuyaient sur les médias traditionnels et des discours technocratiques, lui privilégie une communication directe et percutante sur les réseaux sociaux

Son charisme et sa manière de communiquer accentuent encore cette posture d’outsider.

Proche du peuple, son populisme repose moins sur une idéologie rigide que sur une relation directe et émotionnelle avec les citoyens. Il se pose en sauveur, celui capable de « rendre le Salvador aux Salvadoriens ». Sa posture de leader fort, pragmatique et proche du peuple contraste avec l’inefficacité perçue des élites traditionnelles, renforçant son attractivité auprès d’une population désabusée.

En définitive, Bukele s’est construit comme un outsider non pas en raison de son absence d’expérience politique, mais par sa capacité à transformer son parcours en une révolte contre le système. En exploitant le rejet du FMLN, en cultivant un style personnel en rupture avec les élites et en utilisant des canaux de communication adaptés à une population jeune et connectée, il a su imposer une nouvelle façon de faire de la politique au Salvador.




Un leadership charismatique comme facteur clé de son succès.


Le leadership de Nayib Bukele repose sur un charisme puissant, qui lui permet d’incarner une figure de rupture dans un pays en crise. Selon Max Weber, l’autorité charismatique se distingue par la croyance en les qualités exceptionnelles d’un individu, capable de transcender les institutions traditionnelles. Bukele correspond parfaitement à ce modèle en cultivant une image d’homme providentiel, seul capable de remettre le pays sur pied. Sa communication directe et sans filtre renforce cette perception puisqu’il parle un langage simple et percutant, loin du jargon politique habituel, ce qui lui permet de toucher une population lassée des promesses non tenues.

Au-delà de son positionnement politique, Nayib Bukele brise les codes symboliques et esthétiques de la classe dirigeante. Alors que les élites traditionnelles cultivent un formalisme strict, Bukele casse les codes et troque le costume-cravate pour une casquette à l’envers et un style décontracté. Bien plus qu’un simple choix vestimentaire, ce style est une stratégie. Il se veut l’homme du peuple, en opposition aux autres politiciens perçus comme éloignés des réalités quotidiennes. Cette modernité s’incarne aussi dans son usage des réseaux sociaux, où il privilégie une interaction permanente avec les citoyens. Il ne se contente pas de parler au peuple, il parle comme le peuple, créant une proximité inédite dans la politique salvadorienne.

Mais son charisme ne se limite pas à l’image. Son discours repose sur une rhétorique mobilisatrice et clivante. Nayib Bukele ne se présente pas simplement comme une alternative aux partis traditionnels. Il se pose comme la seule alternative crédible, dénonçant un système gangrené par la corruption et l’inefficacité. Ce positionnement lui permet d’incarner le renouveau face à des élites discréditées, consolidant son rôle de leader charismatique et de symbole du changement.




Un programme attractif.


Le succès de Nayib Bukele ne repose pas uniquement sur son image de leader charismatique. Son programme a su répondre aux attentes d’une population désabusée, lassée des promesses creuses des partis traditionnels. Il a construit sa campagne autour de thématiques concrètes et prioritaires pour les Salvadoriens, en mettant l’accent sur trois axes majeurs qui sont la sécurité,  la lutte contre la corruption et le développement économique.

Dans un pays où les gangs font régner la terreur depuis des années, Bukele a promis une politique de tolérance zéro face à la criminalité. Il a présenté un plan ambitieux reposant sur un renforcement des forces de l’ordre, des arrestations massives et une militarisation accrue pour rétablir l’ordre. Ce discours ferme a trouvé un écho favorable auprès d’une population vivant dans l’insécurité permanente.

Enfin, l’éradication de la corruption est un engagement fort. Bukele a promis de mettre un terme aux privilèges de l’élite politique en instaurant une gestion plus transparente de l’État et en rendant des comptes directement aux citoyens. Il s’est positionné comme opposant direct à la classe dirigeante, accusée d’avoir détourné les ressources du pays à son profit. Cette posture lui a permis de fédérer un électorat en quête de justice et de probité.

De fait, Bukele a su séduire en promettant une modernisation du pays. Il mise sur la technologie et le développement des infrastructures pour dynamiser l’économie salvadorienne. Sa décision controversée d’adopter le Bitcoin comme monnaie légale s’inscrit dans cette volonté d’innovation, avec l’objectif d’attirer les investissements étrangers et de positionner le Salvador comme un acteur émergent dans l’économie numérique.




L'ascension de Nayib Bukele repose sur une combinaison habile de rupture avec l’establishment, grâce à son charisme et son programme en phase avec les préoccupations des Salvadoriens. En capitalisant sur le rejet des partis traditionnels et en s’imposant comme l’incarnation du renouveau, il a su transformer une défiance généralisée en un soutien massif. Toutefois, son succès ne se limite pas à son élection. Une fois au pouvoir, Bukele a lancé une offensive radicale contre la violence des gangs, faisant de la sécurité son principal cheval de bataille. 



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Bibliographie :


  • Weber, Max. Économie et société. Paris, Plon, 1971.
  • Bourdieu, Pierre. La Noblesse d’État : Grandes écoles et esprit de corps. Paris, Minuit, 1989.
  • Mudde, Cas. Populism: A Very Short Introduction. Oxford, Oxford University Press